mercredi 30 mars 2011

J C V

Dans la petite sphère des crate diggers (ces archéologues - à tendance obsessionnelle-compulsive - du vinyle), le nom de Jean-Claude Vannier est de ceux qui alertent immédiatement les sens, et réveillent quelques vieilles ardeurs enfouies, jamais bien loin, toujours latentes, tant celui-ci est redevenu une véritable légende vivante depuis 2006, l'année qui vit la réédition de son mythique "L'enfant assassin des mouches"  de 1972 (cf. photo ci-dessous), accompagnée par une tournée prestigieuse où l'homme ré-interpréta en intégralité devant le public anglais - puis, plus tard, français lors d'un passage à la Cité de la Musique - L'enfant... en question, ainsi qu'une certaine "Histoire de Melody Nelson" qu'il avait jadis concoctée avec son compère de l'époque, Serge G. Sauf que l'histoire ne s'arrête pas là. Ou, plutôt : elle recommence.
Décrit comme un arrangeur-compositeur baroque et foutraque, extravagant et malicieux, JCV débarqua sur la scène musicale au milieu des années soixante, à priori sans aucune formation ni expérience en la matière d'orfèvrerie sonore. La légende - qu'il n'est pas le dernier à colporter - veut qu'il se soit formé en l'espace de quelques heures seulement, cela simplement après avoir potassé l'équivalent d'un "Que sais-je" traitant de la question. Ce qui, au vu de sa carrière, en laisserait plus d'un rêveur...
Car JCV n'a pas attendu Gainsbourg. Intronisé par Michel Magne en personne, le savant fou Vannier va être très vite livré à lui-même et, de fait, s'en donner à cœur joie, infligeant simultanément cocasseries, bizarreries et tortures en tous genres aux morceaux qu'on lui demande d'arranger. Tous passent ainsi sous ses doigts à la fois experts et enfantins : Johnny H. & Sylvie V., Herbert Léonard, France Gall, Gérard Lenorman, Gainsbourg puis Birkin, Bécaud, Michèle Mercier, Nougaro, Brigitte Fontaine... et encore, si l'on ne rendait compte ici que des plus connus. Car il y eut aussi, outre ses propres compositions :
 
 
Et j'en passe... La liste n'en finirait pas. Car, à moins de s'appeler soi-même Vannier, il semble utopique (à moins que l'on aime les casse-têtes - voire les missions impossibles -, mais je garde toutefois un espoir) de vouloir réunir l'exhaustivité de son C.V. dans sa discothèque. Au demeurant, je ne serais pas surpris que l'homme lui-même ne se rappelle l'ensemble des artistes avec lesquels il eût à collaborer en quarante ans et des poussières de longévité... Histoire d'en rajouter une couche, Andy Votel, jamais avare d'un bon coup, a tout de même réussi l'exploit de mixer non-stop, une heure durant, la crème des productions JCV de la période 1966-1973. Alléluia ! Et là, pour certains, débute le mal de crâne (et/ou le calvaire) : parce que, quand on se garde bien de donner le tracklisting de la compilation en question, il ne vous reste guère plus que les yeux pour pleurer. Ensuite, il y a Internet. Aussi, pour celles et ceux qui vont découvrir JCV pour la première fois, je ne peux, dans un premier temps, que les encourager à le connaître à travers Patricia, Grégory, Ann, Jean, Les fleurs de pavot, Léonie, Brigitte, sans oublier Serge, Jane, Claude, France, Gilbert... Enfin, last but not least, par sa propre musique même.
La discographie de Vannier, c'est un peu comme un puzzle, mais celui dont on ignorerait l'image à reconstituer - ainsi que le nombre de pièces. Qui a dit qu'en tout collectionneur, il y avait un masochiste ? Car s'il y a une morale à cette histoire, elle reste bien : Keep diggin'...

dimanche 13 mars 2011

Solla Solla etc.

Le buzz, lancé il y a quelques mois par le label Finders Keepers, aura rapidement permis de repositionner l'un des plus grands compositeurs de musique indienne de tous les temps sur la scène musicale internationale : Ilaiyaraaja. Ou Ilaiya Raaja. Ou... Qui, déjà ? Parce que, avec une carrière qui s'étale sur plus de trois décennies, et dont la somme des compositions pour le seul domaine du cinéma - et peut-être aussi des pseudonymes et/ou coquilles orthographiques - doit bien avoisiner le millier, il relève forcément du casse-tête de remettre la main sur l'exhaustivité de la discographie du raja en question. On se contentera donc, dans un premier temps, de la compilation concoctée par nos voisins anglais.
Comme à leur habitude, les goûts de ces derniers les portèrent naturellement vers une sélection fidèle dans l'état d'esprit à leur compilation "The Sound of wonder", évoquée précédemment dans ce blog : psychédélique, fuzzy, disco... bref : plutôt barrée. Ce qui peut donner à peu près ceci :
Ou comment Kamal Haasan, dieu vivant parmi les dieux vivants, est devenu en seulement trois minutes et demie, l'un des mecs les plus cools de la planète (web). A côté de ce hit en (sur)puissance, on trouvera évidemment moult morceaux qui, c'est à parier, risquent tout autant de donner envie de ressortir perruques, boots dorées et autres gilets à franges (voire de danser avec un éléphanteau comme ici).
Il serait toutefois simplificateur d'en rester là. Car la montagne de talent d'Ilaiyaraaja ne se réduit pas à ce seul adret. Côté ubac, Ilaiyaraaja, à l'instar d'un Rahul Dev Burman, s'est très largement inspiré des musiques traditionnelles locales (principalement tamoule et télougoue), certes, mais en ayant pris soin de sertir sa musique d'influences classiques, occidentales, non moins parfaitement assimilées : ainsi, dans la structure des morceaux, dans la mise en avant du chant, etc. Cela se ressent tout particulièrement si l'on examine le côté "Dr. Jekyll" - si l'on peut l'appeler ainsi - du maestro, malheureusement trop occulté à mon goût dans le cas qui nous occupe. Les changements d'ambiance que l'on trouve au sein de ses chansons pop (telle, par exemple, cette petit perle : "Andhi mazhai pozhigiruthu") en témoignent. Et si l'on écoute mieux ce penchant franchement plus traditionnel, en même temps plus sobre, moins tape-à-l'œil (j'ai envie de dire  "intimiste" tant les fioritures disparaissent), et dont la quintessence ne jaillit nulle part ailleurs que de ce dialogue/dualisme  perpétuel voix/percussions, c'est bien un pan entier de l'art du "compositeur-musicien-interprète-et-j'en-passe" qui se trouve dévoilé.
Vous voyez ce que je veux dire ? De plus,  il est impossible après cela d'oublier la voix de Sri Janaki. Elle peut énerver, on a le droit de ne pas l'adorer totalement, il n'empêche que le songwriting d'Ilaiyaraaja s'accorde parfaitement avec cette dernière : celle-ci sinue, ondoie, virevolte lascivement autour de cette rythmique hypnotique, véritable colonne vertébrale du morceau, et trouve son propre écho renvoyé par les prismes de ses équivalents masculins du moment.  J'en éprouve parfois des frissons. Si tout cela ne mérite pas une nouvelle compilation...

mardi 1 mars 2011

Comme un ouragan

A celles et ceux qui n'auraient pas suivi  l'actualité musicale en France l'année dernière, il ne serait pas inopportun de rappeler que l'un des "tubes" majeurs de 2010 fut composé et interprété par un ex-musicien de Johnny Hallyday juste après que ce dernier l'ait viré de son line-up à la veille d'une tournée de concerts... au milieu des années 80. Déprimé mais pas rancunier, Pierre Billon transforma au final cette mésaventure en une chanson bien dans l'air du temps, mais qui n'allait devenir un hit - malgré elle (et pour des raisons qui dépassèrent sûrement Billon himself) - que quelques trente ans après.
A celles et ceux qui auront survécu au tsunami d'enthousiasme que suscita la résurrection miraculeuse de cette "Bamba triste", il ne serait pas inopportun de rappeler que, sensiblement à la même époque, débutait la carrière solo d'un autre ex-musicien (de Gilbert Montagné, Roland Magdane...) : Thierry Pastor, qui allait connaître un succès retentissant - 700 000 singles vendus  - dès la sortie en 1981 de son premier 45 tours "Le coup de folie".
1er degré ? Il ne faudrait ici nullement prêter foi à celui de la pochette du single (malgré son air qu'on jurerait tout droit sorti de la collection pour homme d'un catalogue La Redoute). Car une fois posé sur la platine, le disque tient toutes ses promesses. Et l'on comprend effectivement mieux les raisons d'une telle réussite.
version 1
Rappelons que Pastor n'a alors que 21 ans. Produit par l'immense Roland Magdane (auquel le chanteur ressemble d'une façon... personnelle), "Le Coup de folie" s'envole dans les hit-parades, s'exporte par-delà nos frontières et va jusqu'à connaître plusieurs adaptations - pas piquée des hannetons - dans nos pays voisins (exemple : la Belgique). Un deuxième single (chanté en anglais), un album suivront, puis d'autres... Mais sa carrière (en dents de scie suite à de graves problèmes de santé - un accident de la route -) restera malgré tout intimement liée aux années 80.
version 2
De prime abord, il ne serait question dans cette chanson que d'une banale histoire d'amour qui dégénère. En revanche, si l'on y prête une oreille un peu plus exercée, l'auditeur pointilleux y déchiffrera probablement "la transcription cathartique du temps traumatisant de la guerre d'Algérie, puisque les paroles appuyées musicalement : folie, fini yeahh et quitte tes gants de boxe sont des allusions dissimulées à la folie de la guerre d'Algérie et à la satisfaction évidente que cette guerre-tuerie soit enfin finie. Cette symbolique est appuyée par l'expression quitte tes gants de boxe, que l'on peut comprendre par "bas les armes, halte au feu" (dixit Wikipédia)... On en pensera ce que l'on voudra et, si l'on a rien de mieux à faire, on pourra toujours s'amuser à rechercher une signification sûrement cachée aux paroles de son autre tube : "Sur des musiques noires"...
Contre toute attente, la musique de Pastor rencontre encore aujourd'hui, un peu partout sur le web, un certain engouement auprès d'internautes que l'on imagine de tous âges et vaguement nostalgiques. Il semblerait enfin que l'homme ait continué de se produire dans divers galas et, en même temps, de prodiguer ses sages conseils à de nouveaux talents de la chanson française. On est désormais rassurés : les 80's ne sont pas encore enterrées !